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Infirmiers et aides-soignants de nuit : quand la fatigue devient une faute… ou pas




Introduction

Une descente inopinée à 3h du matin dans une clinique bruxelloise. Plusieurs infirmières et aides-soignantes sont surprises en posture de repos : assoupies dans un fauteuil, la tête posée sur les bras ou les jambes étendues sur une chaise. Résultat ? Des lettres recommandées d'avertissement, et la menace de licenciement pour faute grave. Le règlement de travail ne prévoyait pourtant rien à ce sujet. Cette situation soulève une question cruciale pour tous les soignants de nuit : que dit la loi en Belgique sur le repos durant le travail de nuit ?


Nous allons analyser cette situation en cinq points : (1) la légalité d’une telle descente surprise et le respect des droits des travailleurs, (2) ce qui est permis pendant une garde de nuit hospitalière lors des périodes creuses, (3) les pratiques comparables dans d’autres établissements ou pays, (4) la validité d’un licenciement pour faute grave dans ce contexte en l’absence de règle écrite, et (5) les moyens de défense et de recours pour les employées (syndicats, inspection du travail, tribunal, etc.). Des références légales, réglementaires et jurisprudentielles pertinentes seront fournies.



1. Légalité d’une descente nocturne surprise par la direction

En Belgique, aucun texte de loi n’interdit formellement à un employeur de se présenter de manière inopinée sur le lieu de travail, y compris de nuit. L’employeur dispose d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution du travail par ses salariés, ce qui l’autorise à superviser leur activité pendant le temps de travail. En principe, il peut donc se rendre sur le lieu et au moment qu’il estime nécessaire pour s’assurer du respect des obligations professionnelles. Cela s’inscrit dans le cadre des obligations du contrat de travail : l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 impose au travailleur d’exécuter son travail « avec soin, probité et conscience, au temps, au lieu et dans les conditions convenus », et symétriquement l’employeur est en droit de vérifier que cette obligation est respectée.


Aucun droit fondamental du travailleur n’est a priori violé par la simple venue impromptue de l’employeur sur le lieu de travail, dans la mesure où il s’agit du cadre professionnel et du temps de travail (la vie privée du salarié n’est pas absolue dans ce contexte). Bien sûr, l’employeur doit agir de manière proportionnée et respecter la dignité des travailleurs. Par exemple, toute surveillance ne doit pas verser dans le harcèlement ou l’abus. Une descente surprise exceptionnelle destinée à constater l’activité (ou l’inactivité) du personnel de nuit peut être considérée comme légitime, surtout si l’employeur a des motifs de s’inquiéter du déroulement des gardes de nuit. En revanche, des contrôles nocturnes répétés ou réalisés de façon humiliante pourraient être contestés (sur le terrain du bien-être au travail ou du harcèlement moral, si cela crée un climat d’intimidation). Dans le cas présent, il semble qu’il s’agisse d’une unique inspection inopinée, ce qui n’est pas illégal en soi.


Il convient également de noter que si l’employeur avait recours à des moyens de surveillance plus intrusifs (par exemple des caméras cachées, filatures, fouille des affaires personnelles, etc.), des règles spécifiques s’appliqueraient pour protéger la vie privée et les données personnelles. Ici, cependant, rien n’indique de tels moyens : la direction s’est contentée de constater sur place l’état du personnel à 3h du matin. En somme, la descente nocturne surprise est légale tant qu’elle reste dans les limites du raisonnable et du respect des personnes. Les travailleurs ne peuvent pas s’opposer à la présence de leur employeur sur le lieu de travail à toute heure où ils sont censés prester leur service.


Résumé : La direction était en droit de réaliser un contrôle inopiné pendant la nuit. Ce faisant, elle n’a pas enfreint les droits des travailleuses, du moment que son intervention est restée professionnelle (constater les faits) et non abusive. Les salariés doivent en revanche être traités avec respect : s’ils estiment que la manière de faire de la direction les a stigmatisés ou humiliés, ils pourraient le signaler (par exemple via la délégation syndicale ou le Comité de prévention et protection au travail), mais juridiquement une telle descente ponctuelle ne viole pas la législation sociale.



2. Ce qui est permis pendant une garde de nuit en milieu hospitalier

La question de ce qui est autorisé durant une garde de nuit, notamment pendant les périodes calmes où aucune tâche immédiate n’est requise, est délicate car souvent non formalisée. Dans le cas présent, le règlement de travail est muet sur le sujet. On doit donc se référer aux normes générales du droit du travail et aux usages du secteur hospitalier.


  • Obligation de vigilance et de disponibilité : En garde active, l’infirmier/soignant est rémunéré pour être présent et prêt à intervenir à tout moment. Juridiquement, même s’il n’y a pas de tâche concrète à un instant T, le temps de garde active est considéré comme du temps de travail effectif. À ce titre, le personnel doit rester apte à accomplir immédiatement une mission en cas de besoin (appel d’un patient, urgence, etc.). Dormir profondément pendant ce temps peut être considéré comme un manquement, car le salarié n’est plus en mesure de réagir promptement. En ce sens, s’assoupir en service constitue un défaut dans l’exécution consciencieuse du travail (violation de l’obligation de travailler avec soin et conscience au temps et lieu convenus).


  • Temps de pause légal : Cependant, le droit du travail prévoit des pauses obligatoires. En Belgique, dès que la durée du travail dépasse 6 heures consécutives, le travailleur a droit à une pause d’au minimum 15 minutes. Dans le secteur hospitalier, il est courant de prévoir une pause repas (souvent d’une demi-heure) au milieu d’un poste de nuit. Si les infirmières étaient en train de prendre une pause officielle au moment du contrôle (par exemple une pause repas aux alentours de 3h du matin), elles étaient en droit de ne pas être en activité. Pendant une pause, le temps n’est pas toujours considéré comme du travail effectif (selon qu’elle soit rémunérée ou non, et selon le règlement interne) et le travailleur peut vaquer à des occupations personnelles. Dormir brièvement pendant une pause n’est pas interdit par la loi – il n’existe pas de “police du sommeil” tant que le salarié est en pause et ne met pas en danger la reprise du travail. Si une pause était en cours, les intéressées pourraient plaider qu’elles ne manquaient à aucun devoir professionnel à cet instant.


  • Périodes passives / temps mort : En garde de nuit, il y a souvent des périodes creuses (la nuit, les patients dorment généralement, et hors urgence, les soins sont limités). Ces périodes passives, bien qu’elles soient du temps de travail rémunéré, peuvent être utilisées pour des tâches annexes ou pour du repos passif. Beaucoup d’hôpitaux tolèrent que le personnel s’asseye, s’allonge quelques minutes sur un fauteuil, lise un document, prenne un café, etc., pour récupérer tant qu’une veille minimale est assurée. L’objectif est d’éviter une fatigue excessive qui serait néfaste en cas d’urgence ultérieure. Toutefois, la frontière entre repos et sommeil est ténue. Fermer les yeux ou somnoler légèrement peut être toléré implicitement, tandis qu’être surpris en plein sommeil profond (par ex. allongé sur un lit, ronflant et difficile à réveiller) est généralement considéré comme fautif.


En absence de règle écrite, on se réfèrera aux usages raisonnables. Il est généralement permis :

  • de s’asseoir ou s’allonger un moment lorsque toutes les rondes et tâches ont été effectuées,

  • de se détendre dans la salle de repos du service,

  • d’avoir des moments de calme (lecture, discussions discrètes entre collègues, etc.),

  • éventuellement de faire de très courtes siestes revigorantes si cela n’affecte pas le service (certains parlent de microsieste de 10-15 minutes).


En revanche, il est en principe interdit :

  • de quitter son poste sans autorisation,

  • de dormir d’un sommeil prolongé alors qu’on est censé surveiller (par ex. tous les membres d’une équipe dormant simultanément sans qu’aucun ne surveille les alarmes ou sonnettes des patients serait une faute),

  • de transformer la salle de repos en dortoir sans organisation (ex. s’installer pour dormir des heures).


Dans le cas d’espèce : Les employées ont été trouvées assoupies ou en posture de repos. On peut supposer qu’il s’agissait d’un moment très calme de la nuit, où le travail « actif » était terminé. Si le règlement ne dit rien, elles pouvaient légitimement penser qu’un temps de repos était toléré une fois les tâches effectuées. Néanmoins, du point de vue de l’employeur, les voir endormies ou avachies a pu être interprété comme un manque de professionnalisme ou une indisponibilité en cas de besoin. En l’absence de directive claire, il y a un flou : est-ce un repos autorisé ou un abandon de poste ? C’est pourquoi ce point fait débat.


On notera que le droit du bien-être au travail (loi du 4 août 1996) impose à l’employeur d’évaluer et gérer les risques, y compris la charge de travail et la fatigue. Il serait donc dans l’intérêt de l’hôpital de définir des modalités claires pour le repos nocturne afin d’éviter à la fois les erreurs dues à la somnolence et les abus.



3. Pratiques dans d’autres cliniques/hôpitaux en Belgique et ailleurs


Les pratiques en matière de repos pendant les gardes de nuit varient d’un établissement à l’autre, et d’un pays à l’autre, mais on observe des tendances communes :

  • Tolérance informelle dans de nombreux services de nuit : Conscients des difficultés du travail nocturne, de nombreux cadres hospitaliers ferment les yeux sur de courts repos. Par exemple, une étude française sur un service de soins intensifs cardiologique (20 patients, équipe de nuit de 5 infirmiers et 3 aides-soignants) montre qu’un aménagement de temps de repos pendant la nuit était encouragé par l’encadrement, bien que non officialisé. Deux créneaux de repos étaient prévus vers 3h et 5h du matin, après les rondes, et des transats étaient mis à disposition du personnel dans une salle équipée des moniteurs patients pour permettre des siestes tout en gardant un œil sur les alarmes. Cela illustre qu’il existe des services où la sieste est organisée afin d’améliorer la vigilance en fin de nuit. Dans ces cas, tout le monde (direction de proximité, médecins) admet qu’il vaut mieux un soignant reposé qui a dormi 20 minutes qu’un soignant épuisé à 5h du matin.


  • Au niveau international, on reconnaît de plus en plus l’importance du repos des travailleurs de nuit. Dans certains pays, des programmes de power nap (courte sieste) ont été mis en place dans le secteur de la santé pour réduire les erreurs médicales liées à la fatigue. Par exemple, aux États-Unis et au Canada, plusieurs hôpitaux autorisent désormais les internes en médecine et parfois les infirmières à prendre une sieste lors des longues gardes, à condition d’assurer une astreinte téléphonique pendant ce temps. Au Japon, la sieste au travail (inemuri) est culturellement admise dans certains contextes. En Europe, les mentalités évoluent lentement : en France ou en Belgique, il n’existe pas de texte autorisant explicitement à dormir sur le lieu de travail, mais les directions hospitalières sont conscientes que le travail de nuit est éprouvant et que prévoir un repos est bénéfique pour la sécurité des patients.


  • Pratiques en Belgique : Bien qu’il y ait peu de documentation publique (les hôpitaux communiquent rarement sur la « permission de dormir »), les témoignages de soignants belges concordent avec les observations internationales. Dans les services d’urgences ou de soins intensifs, il est fréquent d’organiser une rotation pour qu’à tour de rôle un membre de l’équipe puisse prendre 20-30 minutes de repos sur la nuit, pendant que les collègues gardent l’œil ouvert. En revanche, dans les maisons de repos ou les unités de soins généraux plus calmes la nuit, il arrive que tout le personnel soit en repos simultanément (ce qui semble être le cas dans notre scénario, où plusieurs employées étaient assoupies en même temps). Cette pratique est plus contestable, car en cas de problème, le temps de réaction de l’équipe endormie serait allongé.


  • Comparaison des règlements : Si l’on regarde les règlements de travail ou conventions de travail de certains hôpitaux, on n’y trouve généralement pas d’article du type « le personnel de nuit est autorisé à dormir ». On peut toutefois y trouver des dispositions sur les pauses et éventuellement sur la nécessité de demeurer disponible. Par exemple, un règlement peut prévoir que « le personnel en horaire de nuit dispose d’une pause de 30 minutes vers minuit, à prendre à tour de rôle ». Mais très peu vont jusqu’à préciser si la sieste est autorisée ou interdite. Dès lors, le non-dit et la culture interne jouent un rôle majeur. Dans certains établissements, tout le monde « fait un petit somme si possible », dans d’autres c’est strictement proscrit et le personnel s’occupe (lecture, rangement, travail administratif en retard) pour rester éveillé.



En résumé, les pratiques oscillent entre tolérance officieuse et interdiction formelle. Le cas de cette clinique bruxelloise semble indiquer que la direction n’admet pas (ou plus) que son personnel dorme pendant la garde, alors que les employées avaient peut-être pris l’habitude de le faire faute de consignes contraires. Ailleurs, des directions adoptent une approche opposée en intégrant des temps de repos pour préserver la santé des soignants et la qualité des soins. Cela pourrait servir d’argument en faveur des employées : si elles démontrent que se reposer la nuit est courant dans la profession et bénéfique pour éviter les erreurs, elles pourraient plaider qu’elles n’ont pas commis de faute grave mais ont agi en accord avec un usage répandu (bien que non écrit).



4. Licenciement pour faute grave dans ce contexte : analyse de la validité


Un licenciement pour faute grave (appelé congé pour motif grave en droit belge) signifie une rupture immédiate du contrat, sans préavis ni indemnité, en raison d’un manquement jugé extrêmement sérieux. Selon la définition légale, constitue un motif grave « toute faute qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre les deux parties ». Autrement dit, l’employeur doit prouver que le comportement reproché est tel qu’il ne peut plus du tout faire confiance au travailleur, pas même le temps d’un préavis.


Dans le cas de nos infirmières/aides-soignantes trouvées endormies ou en repos, la question est de savoir si cela atteint le niveau de gravité suffisant pour justifier un licenciement pour faute grave.

Plusieurs éléments doivent être examinés :

  • Absence de règle écrite : Le règlement de travail ne contient aucune interdiction explicite de sommeiller pendant la nuit. Certes, on pourrait objecter qu’il s’agit d’un principe allant de soi, mais en droit du travail belge, lorsqu’une faute n’est pas évidente, l’absence de consigne claire peut jouer en faveur du travailleur. Par analogie, si un employeur voulait sanctionner pour “tenue vestimentaire non conforme” sans dress code établi, ce serait contestable. Ici, ne pas avoir précisé les attentes pour le travail de nuit laisse une zone grise. Les employées pourraient faire valoir qu’elles pensaient être dans le cadre de la période passive tolérée de leur garde, d’autant plus qu’aucun rappel à l’ordre antérieur ne leur avait été signifié. Cette absence de balisage affaiblit un peu la position de l’employeur s’il invoque la faute grave.


  • Jurisprudence sur le fait de dormir au travail : S’endormir sur le lieu de travail est considéré comme un manquement fautif. Par exemple, la Cour du travail de Bruxelles a jugé qu’un travailleur endormi sur son poste, en public, manquait à son obligation d’exécuter son travail consciencieusement (art. 17 précité). Cependant – et c’est crucial – toute faute grave du salarié ne constitue pas nécessairement un motif grave de licenciement. Le licenciement pour motif grave est l’ultime sanction, à n’utiliser que si la confiance est irrémédiablement rompue. Or, les tribunaux n’acceptent pas automatiquement l’argument de l’employeur sur ce point : « Le fait, pour un travailleur, d’être trouvé endormi sur les lieux du travail ne constitue pas nécessairement un motif grave », rappelle une analyse jurisprudentielle. Il y a donc une appréciation au cas par cas.

    • Cas où dormir a été jugé “motif grave” : Un agent de sécurité surpris endormi à son poste, dans un lieu visible au public, a vu son licenciement pour motif grave validé par la Cour du travail de Bruxelles. Dans cette situation, le salarié occupait un poste de confiance qui exigeait une vigilance constante (gardiennage d’une banque). Le fait de dormir mettait en péril la sécurité du site, ce qui a été jugé incompatible avec la poursuite du contrat. De même, on peut imaginer que s’endormir en conduisant un véhicule professionnel, ou en surveillant des patients branchés à des appareils vitaux, serait qualifié de faute gravissime.

    • Cas où cela ne l’a pas été : À l’inverse, s’endormir dans un contexte moins critique n’a pas toujours entraîné la faute grave. Si l’employeur n’établit pas que le sommeil du travailleur a eu des conséquences graves ou révélait une indifférence aux obligations essentielles, les juges peuvent refuser le motif grave. Par exemple, si une unique assoupissement survient sans dommage et que le travailleur a un dossier par ailleurs exemplaire, un tribunal pourrait estimer que la sanction immédiate est disproportionnée. On peut citer un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 janvier 2022 qui souligne que la faute grave du travailleur n’implique pas automatiquement un licenciement pour motif grave – il faut que la continuation du lien soit devenue impossible.


  • Application au contexte des soignantes : Pour qu’un licenciement pour faute grave soit valable ici, la clinique devrait prouver que le fait de les trouver endormies rend impossible et immédiate la poursuite de la collaboration. Est-ce le cas ? On peut en douter. Plusieurs arguments s’y opposent :

    • C’était apparemment la première fois que ce manquement était constaté officiellement. Une faute unique, sans avertissement préalable (avant ceux envoyés après coup), est rarement suffisante pour justifier la rupture immédiate, sauf gravité extrême.

    • Aucune mention d’un préjudice aux patients n’a été faite. Si durant cet assoupissement, aucun patient n’a souffert (pas d’appel sans réponse, pas d’urgence ignorée), on est plus dans le domaine de la négligence que de la mise en danger volontaire.

    • Le contexte de travail de nuit joue en leur faveur : tout le monde reconnaît que le rythme circadien rend la vigilance difficile à 3h du matin. La fatigue peut être atténuante. D’ailleurs, un arrêt a reconnu que le métier d’aide-soignante de nuit, exercé en sous-effectif chronique, engendre un stress énorme pouvant expliquer (sans les excuser) certains débordements. Autrement dit, la jurisprudence admet des circonstances atténuantes liées aux conditions de travail difficiles.

    • Enfin, le fait que le règlement n’ait rien prévu et que possiblement la pratique tacite tolérait le repos pourrait être vu comme une forme d’acceptation implicite de l’employeur. S’il était notoire que les nuits calmes le personnel pouvait somnoler, l’employeur ne peut du jour au lendemain invoquer la faute grave sans avoir clarifié les règles (voir par analogie un cas où un employeur ne peut se plaindre d’une faute qu’il tolérait lui-même).


En conclusion sur ce point, un licenciement pour faute grave de ces infirmières/aides-soignantes serait contestable. Le manquement (s’assoupir) justifie sans doute un rappel à l’ordre, éventuellement une sanction disciplinaire (avertissement, blâme) – ce que la direction a d’ailleurs commencé à faire en envoyant des lettres d’avertissement. Mais passer à la sanction la plus extrême sans étape intermédiaire pourrait être jugé disproportionné par un tribunal du travail. Sauf élément aggravant (par ex. refus de s’excuser, récidive malgré avertissement, incident patient), la faute grave au sens juridique n’est pas évidente ici. Les employées auraient de bons arguments pour faire reconnaître que, si faute il y a, elle ne rend pas pour autant la collaboration définitivement impossible.



5. Moyens pour les employées de faire valoir leurs droits


Face à cette situation, les employées disposent de plusieurs leviers pour se défendre et faire valoir leurs droits :

  • Faire intervenir les syndicats : Si elles sont syndiquées (par exemple à la CSC, la CGSP/FGTB, ou le SETCa/CNE pour le secteur non-marchand), c’est la première chose à faire. Un délégué syndical peut les assister dans toutes les démarches. Le syndicat pourra :

    • Rencontrer la direction pour discuter de l’incident, rappeler les droits des travailleurs et éventuellement négocier un retrait des avertissements ou éviter des licenciements abusifs.

    • Vérifier le règlement de travail et la convention collective sectorielle (CP 330 – secteur des soins de santé) pour voir si la direction n’a pas elle-même manqué à certaines obligations (par ex. pauses non accordées, durée du travail excessive, etc.).

    • Organiser la défense juridique si nécessaire (avocats du syndicat) devant le tribunal du travail en cas de licenciement effectif.


  • Documenter leur version des faits : Il est important que chaque employée concernée rédige sa version écrite de ce qui s’est passé, de bonne foi, et l’envoie éventuellement à la direction ou la conserve pour sa défense. Par exemple, expliquer qu’à 3h du matin, « toutes les tâches prévues avaient été effectuées, une pause de X minutes était en cours, nous étions en attente d’éventuels appels des patients, dans la salle de garde, et il est possible que nous nous soyons assoupies brièvement compte tenu de la fatigue accumulée ». Fournir ces explications montre qu’il n’y avait pas d’intention fautive d’abandonner le poste. Si la direction a demandé par écrit une justification (ce qui arrive souvent après un avertissement), il faut y répondre en donnant ces éléments contextuels.


  • Consulter l’Inspection du travail (Contrôle des lois sociales) : Les travailleuses ou le syndicat peuvent contacter le Contrôle des lois sociales (CLS) du SPF Emploi (l’inspection du travail belge) pour signaler la situation. Bien que l’inspecteur social n’intervienne pas pour annuler un avertissement ou un licenciement (ce n’est pas de son ressort direct), il peut vérifier si l’employeur respecte bien la réglementation du travail de nuit :

    • S’assurer que les pauses réglementaires sont bien accordées (par ex. au moins 15 min après 6h, voire plus si prévu). Si l’inspection décèle un manquement de l’hôpital (par ex. aucun temps de pause n’est prévu formellement sur 10h de nuit), elle peut exiger une correction.

    • Contrôler la durée du travail de nuit (maxima légaux, etc.) et le respect des dispositions relatives au bien-être. Si le personnel est en sous-effectif chronique conduisant à des épuisements, l’inspection pourrait faire des recommandations à l’employeur.

    • Plus généralement, le fait pour l’employeur de menacer de faute grave sans raison valable pourrait être signalé, même si ce sera au tribunal de trancher au final. L’Inspection peut jouer un rôle de médiation officieuse en appelant la direction pour éclaircir la situation, ce qui parfois suffit à calmer le jeu.


  • Saisir le Tribunal du travail en cas de licenciement effectif : Si la clinique passe à l’acte et notifie un licenciement pour motif grave, les employées devront sans doute saisir le Tribunal du travail (compétent en droit du travail en Belgique) pour le contester. Avec l’aide de leur syndicat ou d’un avocat spécialisé, elles pourront:

    • Contester la réalité ou la gravité du motif grave. Le tribunal examinera les preuves. Si l’employeur ne convainc pas le juge que dormir constituait une faute rendant toute collaboration impossible, le licenciement pour motif grave sera requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

    • Obtenir les indemnités dues : en cas de requalification, l’employeur devra payer le préavis non presté (indemnité compensatoire de préavis) et éventuellement des dommages et intérêts. Depuis la CCT n°109, le travailleur peut aussi réclamer une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable si le motif avancé était inexistant ou insignifiant.

    • Faire valoir que l’employeur n’a pas respecté la procédure du motif grave, le cas échéant (délais de notification de 3 jours, etc., bien que s’il envisage le licenciement il y fera sans doute attention).

    • Souligner d’éventuelles discriminations ou inégalités de traitement : par exemple, si seules certaines ont été sanctionnées alors que d’autres collègues faisaient pareil sans sanction, ou si c’est un acharnement ciblé.


  • Autres recours internes : Les employées peuvent aussi solliciter le Conseil d’entreprise (s’il existe dans la clinique) ou le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) pour aborder le problème de fond : l’organisation du travail de nuit. Le CPPT, où siègent employeur et représentants des travailleurs, est l’instance idéale pour discuter de la charge de travail nocturne et de la possibilité d’aménager un repos de qualité. Elles peuvent demander, via leurs représentants, qu’une ligne de conduite claire soit établie pour les gardes de nuit (par exemple, définir officiellement un temps de repos autorisé, ou au minimum clarifier ce qui est considéré comme acceptable ou non pendant les périodes calmes). Ce dialogue en prévention peut éviter que la situation ne se reproduise ou ne dégénère.


En synthèse, les employées ne sont pas dépourvues de moyens d’action. À court terme, l’appui du syndicat et la réponse écrite aux avertissements sont cruciaux pour contester la qualification de faute grave. À moyen terme, si la direction campe sur une ligne répressive, le juge pourra arbitrer en cas de licenciement abusif. Par ailleurs, cette affaire met en lumière un vide réglementaire qu’il serait utile de combler : formaliser les modalités de repos en travail de nuit pour concilier le respect des patients, la santé des soignants et les exigences de l’employeur. Une solution équitable pourrait être négociée (par exemple : au moins un membre de l’équipe reste éveillé pendant que les autres prennent 20 min de repos, rotation organisée, etc.). En tout état de cause, brandir la faute grave de manière disproportionnée est contestable juridiquement et socialement contre-productif, et les intéressées ont tout intérêt à faire valoir leurs droits par les voies décrites ci-dessus pour parvenir à une issue juste.



Sources et références : 

Notion de motif grave (SPF Emploi);

 
 
 

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